David Bendayan
Article à paraître dans La Voix Sépharade
Une dynastie séfarade éteinte : les Camondo

En bordure du parc Monceau, à mon avis le plus beau jardin de Paris, s'élève un somptueux hôtel particulier. C'est le musée Nïssim-de-Camondo qui renferme une des plus importantes collections de tableaux, de sculptures et de meubles du XVIIIème siècle ainsi que des objets rarissimes de culte juif rapportés de Constantinople. Ce musée inauguré en 1936 témoigne de l'aventure passionnante de la famille Camondo.


Gloire

Les Camondo sont chassés d'Espagne en 1492. L'ascendance séfarade ne fait aucun doute puisqu'on retrouve ce patronyme dans la fameuse liste officielle établie en 2012 par le gouvernement espagnol concernant les juifs ibériques expulsés. Faute d'espace, nous passerons sur les origines anciennes de cette lignée pour nous attarder sur son fondateur Abraham Salomon Camondo.

Né en 1781, à Constantinople, il hérite de la banque Isaac Camondo et Cie fondée par son frère, mort sans descendance. Abraham réussit à développer une fortune colossale grâce à des crédits et emprunts auprès du Sultan et des vizirs de l'Empire ottoman. Cette richesse repose aussi sur des propriétés immobilières. En effet, bénéficiant d'un privilège rare, il construira de nombreux immeubles de bureau et institutions bancaires tout en modernisant la ville (transports publics, trottoirs, éclairage ...) Cependant, ce qui caractérise surtout le patriarche, c'est son attachement au judaïsme et aux oeuvres de charité. Philanthrope actif, il se préoccupe de fonder des hôpitaux et de nouvelles écoles dans les quartiers juifs les plus défavorisés. Sur le conseil du grand banquier Moïse Montefiore, les cours commencèrent à être dispensés en français, alors langue universelle, favorisant ainsi l'émancipation de la communauté israélite. Il fait aussi construire une synagogue sur les rives du Bosphore. Son prestige dépasse les frontières ottomanes : il contribuera à la fondation d'une école et d'une synagogue dans l'île de Rhodes.

En 1867, le roi d'Italie Victor-Emmanuel II lui confère le titre transmissible de Comte pour son rôle joué lors de l'unification italienne car, de tout temps, des liens étroits unissaient les Camondo à l'Italie.

Abraham décèdera à Paris en 1866 en léguant à sa descendance, outre une fortune immense, l'amour de l'humanité et en particulier de ses coreligionnaires, ce qui a valu aux Camondo d'être considérés comme "les Rothschild de l'Est". Comme il le souhaitait, Abraham sera inhumé à Istanbul où le gouvernement turc décrétera des funérailles nationales grandioses.

Ses petits-fils, Nissim et Abraham-Béhor poursuivent les activités philanthropiques initiées par leur grand-père. Abraham, en particulier, s'investit dans la création de nouvelles écoles gratuites : c'est sa "mission sacrée". En 1864, il devient président de l'Alliance universelle israélite et se heurte alors à ses coreligionnaires conservateurs qui voient d'un mauvais oeil l'abandon du judéo-espagnol au profit du français. Enfin, il interviendra énergiquement pour venir en aide aux juifs de Bulgarie ou de Syrie victimes de cruelles persécutions.

En 1868, ils s'installent à Paris afin de développer les affaires financières en participant au percement du canal de Suez. Tout en pratiquant avec ferveur leur foi juive, ils s'intègrent harmonieusement au sein de l'aristocratie parisienne qui leur ouvre tout grand leurs portes. Mais c'est avec leurs fils respectifs Isaac et Moïse que les Camondo parviendront au sommet de leur puissance : les deux cousins germains règneront dans les plus hautes sphères de la capitale.

Isaac, comte de Camondo (1851-1911) a une âme d'artiste. Tout en gérant la banque, il est séduit par la vie parisienne. Très riche héritier, il constitue une collection d'estampes japonaises de qualité exceptionnelle ainsi qu'un ensemble de peintures impressionnistes prestigieuses.

Le comte Moïse de Camondo (1860-1935) est avec certitude la figure emblématique de la dynastie. Il épouse en 1891 Irène Cahen d'Anvers. Par ce mariage, Moïse s'allie à une autre famille de financiers juifs. De cette union naîtront deux enfants, Nissim et Béatrice. Richissime, Moïse nourrit depuis longtemps une grande passion pour le XVIIIème siècle. Aussi collectionne-t-il des meubles et des objets d'art consacrés au Siècle des Lumières dont la valeur est inestimable. Pour exposer ces merveilles, il construit un somptueux hôtel particulier, le futur musée Nissim-de-Camondo. Enfin, fidèle à la tradition philanthropique, il multipliera les oeuvres de charité auprès de la communauté juive en finançant notamment les synagogues et les écoles. De plus, il consacrera de sommes considérables pour soutenir les juifs en détresse qui tentaient de quitter l'empire ottoman, où le vent avait tourné, pour venir s'établir en France.


Tragédie

Mais déjà l'horizon s'assombrissait.

Célibataire endurci, Nissim meurt sans postérité en léguant au Louvre l'ensemble de ses collections aujourd'hui dispersées.

Moïse divorce en 1896. En 1914, la guerre éclate. Nissim, jeune homme affectueux et patriote, s'engage dans l'armée de l'air et trouve la mort à l'âge de 25 ans lors d'un combat aérien. Brisé à jamais, Moïse décide de léguer son hôtel particulier et ses collections à la République, en mémoire de son fils. Jusqu'à la fin, il n'aura de cesse d'enrichir et d'organiser le futur musée Nissim-de-Camondo. Moïse de Camondo décèdera en 1935 alors que le nazisme déferle sur l'Europe.

En 1942, Béatrice, son mari et ses deux enfants sont arrêtés et déportés au camp de Drancy.

Par la suite la famille sera envoyée à Auschwitz où elle périra. Ainsi s'achève la saga de cette prestigieuse dynastie qui avait tant donné à la France, au Sépharadisme et à l'humanité. A l'entrée du musée, le visiteur peut remarquer deux plaques murales. L'une, en mémoire de Nissim de Camondo, mort vaillamment pour la France, l'autre en souvenir des derniers Camondo, morts sauvagement avec la complicité de la France, de cette France qu'ils avaient tant aimée.